Vendanges 2011
2011 : « Jamais comme cette année, malgré les quelques quarante-six vendanges que j'ai suivies depuis mes débuts de vigneron en Bourgogne, je n'ai ressenti ni compris à ce point l'importance de la chance et celle du pari dans la réussite ou l'échec du vigneron face à un millésime ».
A l'heure où je commence à rédiger ce traditionnel rapport qui, vendanges et vinifications terminées, veut évoquer ce qu'ont été pour nous les faits marquants du millésime, le vent du Nord espéré depuis le mois de mai est de retour, apportant avec lui, quoiqu'un peu tard, grand soleil et nuits fraîches. L'arrière-saison est certes magnifique, elle met en valeur les chatoyances automnales de la vigne et exacerbe les odeurs opulentes qui émanent des cuveries où les vins fermentent... Quel est néanmoins le vigneron qui ne se lève aujourd'hui en ces matins bénis des dieux et n'imagine ce qu'auraient pu être les vendanges 2011... si Avril n'avait pas été plus chaud que Juillet, entraînant la vigne dans un cycle végétatif ultra-précoce où elle s'est trouvée sans cesse et jusqu'aux vendanges exagérément en avance sur le rythme normal des saisons sous notre latitude.
2011 semble en effet donner raison à ceux qui parlent de changement climatique ou au moins de dérèglement climatique.
Le cycle végétatif de la vigne aura été marqué par une précocité hors norme liée à des températures très élevées dès le début du mois d'avril, ces températures inhabituelles étant elles-mêmes associées à une situation de sécheresse tout aussi inhabituelle au printemps.
La vigne aime la chaleur et la sécheresse et elle a ainsi prospéré jusqu'un peu avant la floraison, ne subissant aucune attaque des ennemis habituels, mildiou et oïdium, progressant à grande vitesse et harmonieusement dans son cycle végétatif. Seul inconvénient : sous l'effet brutal de quelques jours de chaleur excessive, d'assez nombreuses baies exposées au soleil ont grillé.
Mais, à partir de la floraison, très précoce cette année - mi-floraison le 20 Mai, même date à peu près qu'en 2003 ou 2007 - nous vécûmes un retournement radical des conditions météo, avec une dominante absolue de vents d'ouest et du sud porteurs de pluies et d'orages. Le vent du Nord, bienfaiteur de la Bourgogne puisqu'il apporte, lui, le beau temps sec qu'aime la vigne, ne sera que rarement au rendez-vous malgré les promesses qu'il avait données par sa présence, le 17 Avril, dimanche des Rameaux, ce qui, selon tous les dictons du passé, aurait dû assurer sa domination sur tous les autres vents tout au long de l'année.
Il est bien connu que les dieux s'ingénient à nous tromper, nous les humains, Homère nous le répète tout au long de l'Odyssée, et, pour les vignerons, pauvres Ulysses ballottés par les éléments, ces conditions chaotiques ont persisté en juin, juillet et août sous la forme d'alternances brutales de froid, de pluies, de chaleurs fortes et même caniculaires, suivies chaque fois d'orages violents.
Dans ce contexte général, la Côte de Nuits a bénéficié d'une certaine indulgence, la pluviométrie y étant nettement inférieure à ce qu'elle fut alentour, en Côte de Beaune notamment. C'est néanmoins au prix d'efforts tenaces et de choix parfois risqués qu'au Domaine, Nicolas Jacob, notre chef de culture et son équipe, ont dû, à partir de fin mai, dans le strict respect de notre option biodynamique, s'ingénier à protéger les vignes du mildiou et de l'oïdium, effectuer les labours en temps voulu et orchestrer aussi justement que possible les autres travaux de la vigne.
Une année comme 2011 met à l'épreuve les connaissances, l'expérience et la résilience du vigneron et cela sur de longs mois. Le challenge a été tenu et gagné.
Cependant l'ennemi ultime guettait : le botrytis, qui comprit dès Juillet qu'il trouverait cette année toutes les conditions qui lui sont favorables : les pluies en effet avaient provoqué un grossissement anormal des baies et dans ces peaux distendues se produisaient dès la véraison (qui s'étala sur 3 semaines au moins) des microfissures et même des éclatements où, par temps humide, le botrytis aime à se développer.
Heureusement, les températures basses de juillet ralentirent à la fois le cycle végétatif et le développement du botrytis qui aime la chaleur humide, mais stoppe son action dès qu'il fait froid. Cette phase froide fut aussi un facteur favorable à un affermissement et à un épaississement des peaux des raisins.
A partir du 15 août, changement complet de décor : un temps chaud et orageux s'installe et les températures très élevées, parfois caniculaires, donnent tout son élan à la maturation du raisin. Grâce aux réserves d'eau accumulées et à une luminosité favorisée par des jours encore très longs, la photosynthèse a fonctionné à plein régime avec pour résultat à la fois une progression rapide des sucres et une diminution des acidités, toutes deux spectaculaires.
C'est une tout autre direction, bien plus qualitative, que prenait ainsi le millésime. Nous l'accueillîmes avec soulagement.
Certes, les orages qui ont accompagné de manière récurrente ce retour à la chaleur ont apporté avec eux leur lot d'angoisses et certains secteurs de la Bourgogne l'ont payé cher par des grêles meurtrières, mais le secteur de Vosne fut, lui, épargné. Dans ces conditions, on aurait dû voir une progression spectaculaire, elle aussi, du botrytis, mais ce ne fut pas le cas, grâce sûrement à l'épaisseur des peaux des baies et, après chaque orage, à un retour rapide du soleil.
Pendant cette période, la Côte de Nuits, au final, bénéficia de la chaleur, mais fut peu touchée par les orages. A la fin du mois d'Août, même si une partie de l'avance prise par la vigne au printemps a certes fondu au fil des semaines en Juin/Juillet, on approche de la pleine maturité. Mais, comme la vigne arrive à la fin de son cycle végétatif, nous savons aussi que, si les orages persistent à vouloir revenir après chaque période de chaleur, le botrytis risque d'exploser et nous de tout perdre.
Jamais comme cette année, malgré les quelques quarante-six vendanges que j'ai suivies depuis mes débuts de vigneron en Bourgogne, je n'ai ressenti ni compris à ce point l'importance de la chance et celle du pari dans la réussite ou l'échec du vigneron face à un millésime.
Vouloir absolument attendre la maturité complète du raisin, c'est la règle n°1. Le faire au risque de perdre la récolte, c'est la règle n°2. Les deux sont inséparables et les deux ont fonctionné à fond en 2011 : 1) il fallait attendre au-delà du raisonnable pour vendanger des raisins mûrs, 2) nous avons eu la chance que cessent chez nous pendant toute la « fenêtre » choisie pour vendanger, alors qu'ils sévissaient parfois férocement tout autour, les orages et l'humidité qui auraient pu causer une explosion du botrytis s'ils avaient persisté ne serait-ce que 2 ou 3 jours de plus. Les dieux étaient de nouveau avec nous ! Mais que d'angoisses présentes au coeur de cette certitude qu'il ne fallait surtout pas se précipiter !
Nous attendons finalement le vendredi 2 septembre pour vendanger les Corton et le lundi 5 pour les vignes de Vosne. La cueillette commence par un temps chaud et sec bien qu'incertain et sous la menace de prévisions météo pessimistes pour les jours à venir. Par miracle, pendant toutes les vendanges, nous n'aurons pas la moindre averse pendant la journée.
En ce début septembre le mildiou a « mordu » les feuilles supérieures de la vigne qui montre déjà des teintes automnales. Le botrytis est présent sous sa forme sèche (les attaques de juillet/début août qui ont séché) et aussi sous sa forme humide et même acide (attaques récentes sur grosses grappes). Les baies grillées au printemps sont toujours là ainsi qu'un nombre assez inhabituel de baies vertes qui n'ont pas franchi le stade de la véraison : nous devrons les éliminer, mais il y a également des baies « figuées » qu'il faudra garder précieusement, car elles sont riches en sucre.
Inutile par conséquent de souligner l'importance et la difficulté du travail de vendange cette année. Le vendangeur, celui qui coupe le raisin que l'on va ramener à la cuverie, s'attelle à une tâche capitale : comme l'orpailleur qui filtre le gravier au bord des rivières pour y trouver l'or, il lui est demandé de récolter de manière sélective, suivant des règles qui changent chaque année, le matériau, c'est-à-dire le raisin, que la fermentation en cuve va transmuer en Romanée-Conti, La Tâche, etc... Le vendangeur est l'auteur du dernier geste humain sélectif et qualitatif avant que le raisin n'arrive dans la cuve avec ses qualités et ses défauts définitifs.
Les instructions données aux vendangeurs de la récolte 2011 sont claires : faire tomber les baies grillées au printemps, éliminer au sécateur les grappes ou parties de grappes touchées par le botrytis et, travail le plus difficile, car il demande jugement et expérience, laisser de côté les ceps porteurs de grappes grosses ou moins mûres - c'est d'ailleurs là où le botrytis a le plus progressé - : ces ceps-là seront vendangés lors d'un deuxième passage que nous ferons juste après la fin des « grandes » vendanges en y opérant un tri là aussi très sévère.
A son arrivée en cuverie, le raisin passe sur une table où une équipe chevronnée de 14 personnes affine le tri et rejette ce qui a pu échapper aux vendangeurs. A remarquer que la table vibrante installée cette année en tête de la table de tri a éliminé, à côté de baies grillées ou sèches, une quantité impressionnante de coccinelles et autres larves !
En fin de compte c'est une récolte parfaitement saine, la « crème de la crème » du raisin produit en 2011, qui entre dans les cuves de fermentation.
Les vendanges ne vont pas vite à cause du tri qui est délicat pour les raisons évoquées plus haut. Elles dureront jusqu'au 13 septembre par temps généralement chaud avec chaque jour, comme une épée de Damoclès, l'annonce par les services météo d'orages et de pluies... qui ne se produiront jamais !
C'est la raison pour laquelle je souligne à quel point 2011 une fois de plus nous a montré le poids de la chance dans la réussite d'un millésime : si le raisin avait été humidifié, ne serait-ce que par un gros orage, la récolte, compte tenu de la chaleur et de son extrême maturité, aurait pourri en un clin d'oeil. Ca ne s'est pas produit. Au contraire la fenêtre décidée pour vendanger a été la bonne et nous pouvons remercier le ciel qui nous a donné cette fin de saison clémente... et la faveur de récolter des raisins parfaitement mûrs.
Il est certain que la perte de récolte consécutive aux attaques du botrytis et des autres agresseurs de la vigne et du raisin a été encore une fois importante en 2011 malgré les défenses qu'on leur a opposées ; on peut l'évaluer à 30% environ. Mais cette perte de quantité constitue aussi un facteur favorable à la qualité : il faut en effet la regarder comme le résultat d'un éclaircissage naturel qui, en s'attaquant aux plus grosses grappes, diminue le rendement, c'est-à-dire la quantité de raisin porté par la vigne et permet à celle-ci de mieux mûrir les grappes restantes. En 2011 nous n'aurions pas atteint la maturité complète constatée si une partie de la récolte n'avait pas été supprimée par le botrytis et la grillure.
Le Montrachet, lui, situé en Côte de Beaune, a reçu bien plus de précipitations que les vignes de Vosne ou de Corton. Il a été grêlé en juillet, mais sans conséquences graves. Grâce à une véraison plus tardive du Chardonnay qui a fait que les baies ont mieux résisté à la grosse phase pluvieuse de début août, le botrytis a eu moins d'impact qu'en Côte de Nuits et cela jusqu'au 3 septembre quand un orage sur le sud de la Côte de Beaune fait « tourner » de nombreuses baies. Nous sommes ainsi amenés à vendanger un peu plus vite que prévu, le 6 Septembre, en étant néanmoins les derniers comme d'habitude et nous ramassons des raisins merveilleusement dorés avec une proportion de botrytis noble d'environ 10%.
Voici les dates auxquelles chaque cru a été vendangé :
Corton ......................................... 2 Septembre
La Tâche ...................................... 5 et 6 Septembre
Romanée-Conti et Montrachet ..... 6 Septembre
Richebourg ................................... 7 et 8 Septembre
Romanée St Vivant ...................... 8 et 9 Septembre
Grands-Echezeaux ....................... 9 et 10 Septembre
Echezeaux .................................... 10 et 11 Septembre
En cuverie on n'a pas rencontré de problèmes particuliers, sauf, en certains après-midis, la nécessité de refroidir les raisins qui, vendangés sous le soleil, rentraient chauds de la vigne. Les moyens modernes de contrôle de température permettent de le faire sans trop de difficulté. Bernard Noblet et son équipe ont conduit les vinifications avec la simplicité et la rigueur habituelles et en étant à l'écoute de chaque cuvée qui demande, comme on le sait, une attention particulière. Et ça n'était pas facile car, quand les vendanges se font par temps chaud comme cette année, les cuves ont tendance à partir en fermentation toutes en même temps et il faut une vigilance de tous les instants pour les guider sur le bon chemin et les décuver au bon moment.
Les cuvaisons ont été particulièrement longues : 21 à 24 jours avec de belles montées en température. Les décuvages viennent de se terminer. Les vins sont pleins de « fruit », ils montrent déjà de la séduction et de la profondeur, mais surtout beaucoup de finesse. 2011 semble devoir être un millésime où l'élégance et la pureté primeront sur la puissance, même s'il est bien trop tôt pour avoir une opinion définitive.